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entendre certains bruits du dehors. Le craquement d’un meuble, le feu qui pétille, la pluie qui fouette la fenêtre, le vent qui joue sa gamme chromatique dans la cheminée, autant de sons qui frappent encore l’oreille et que le rêve convertit en conversation, cris, concert, etc. On frotte des ciseaux contre des pincettes aux oreilles d’Alfred Maury pendant qu’il dort : il rêve aussitôt qu’il entend le tocsin et qu’il assiste aux événements de juin 1848. Je pourrais citer d’autres exemples. Mais il s’en faut que les sons tiennent autant de place que les formes et les couleurs dans la plupart des songes. Les sensations visuelles prédominent ; souvent même nous ne faisons que voir, alors que nous croyons également entendre. Il nous arrive, selon la remarque de Max Simon, de soutenir en rêve toute une conversation et de nous apercevoir soudain que personne ne parle, que personne n’a parlé. C’était, entre notre interlocuteur et nous, un échange direct de pensées, un entretien silencieux. Phénomène étrange, et pourtant facile à expliquer. Pour que nous entendions des sons en rêve, il faut généralement qu’il y ait des bruits réels perçus. Avec rien le rêve ne fait rien ; et là où nous ne lui fournissons pas une matière sonore, il a de la peine à fabriquer de la sonorité.

Le toucher intervient d’ailleurs autant que l’ouïe. Un contact, une pression arrivent encore à la conscience pendant qu’on dort. Imprégnant de son influence les images qui occupent à ce moment le champ visuel, la sensation tactile pourra en modifier la forme et la signification. Supposons que se fasse tout à coup sentir le contact du corps avec la chemise ; le dormeur se rappellera qu’il est vêtu légèrement. Si justement il croyait se promener