Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/92

Cette page n’a pas encore été corrigée

de la précédente, car l’espace n’en a conservé aucune trace : mais par là même je me condamnerai à demeurer sans cesse dans le présent ; je renoncerai à penser une succession ou une durée. Que si enfin je conserve, joint à l’image de l’oscillation présente, le souvenir de l’oscillation qui la précédait, il arrivera de deux choses l’une : ou je juxtaposerai les deux images, et nous retombons alors sur notre première hypothèse ; ou je les apercevrai l’une dans l’autre, se pénétrant et s’organisant entre elles comme les notes d’une mélodie, de manière à former ce que nous appellerons une multiplicité indistincte ou qualitative, sans aucune ressemblance avec le nombre : j’obtiendrai ainsi l’image de la durée pure, mais aussi je me serai entièrement dégagé de l’idée d’un milieu homogène ou d’une quantité mesurable. En interrogeant soigneu­sement la conscience, on reconnaîtra qu’elle procède ainsi toutes les fois qu’elle s’abstient de représenter la durée symboliquement. Quand les oscilla­tions régulières du balancier nous invitent au sommeil, est-ce le dernier son entendu, le dernier mouvement perçu qui produit cet effet ? Non, sans doute, car on ne comprendrait pas pourquoi le premier n’eût point agi de même. Est-ce, juxtaposé au dernier son ou au dernier mouvement, le souvenir de ceux qui précèdent ? Mais ce même souvenir, se juxtaposant plus tard à un son ou à un mouvement unique, demeurera inefficace. Il faut donc admettre que les sons se composaient entre eux, et agissaient, non pas par leur quantité en tant que quantité, mais par la qualité que leur quantité présentait, c’est-à-dire par l’organisation rythmique de leur ensemble. Comprendrait-on autre­ment l’effet d’une excitation faible et continue ? Si la sensation restait identique à elle-même, elle demeurerait indéfiniment faible, indéfiniment supportable. Mais la vérité est que chaque surcroît d’excitation s’organise avec les excitations précédentes, et que l’ensemble nous fait l’effet