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nous avertir que nous retombons alors inconsciemment sur l’espace. D’autre part, on conçoit que les choses matérielles, extérieures les unes aux autres et extérieures à nous, empruntent ce double caractère à l’homogénéité d’un milieu qui établisse des intervalles entre elles et en fixe les contours : mais les faits de conscience, même successifs, se pénètrent, et dans le plus simple d’entre eux peut se réfléchir l’âme entière. Il y aurait donc lieu de se demander si le temps, conçu sous la forme d’un milieu homogène, ne serait pas un concept bâtard, dû à l’intrusion de l’idée d’espace dans le domaine de la conscience pure. De toute manière, on ne saurait admettre définitivement deux formes de l’homo­gène, temps et espace, sans rechercher d’abord si l’une d’elles ne serait pas réductible à l’autre. Or l’extériorité est le caractère propre des choses qui occupent de l’espace, tandis que les faits de conscience ne sont point essen­tiellement extérieurs, les uns aux autres, et ne le deviennent que par un déroulement dans le temps, considéré comme un milieu homogène. Si donc l’une de ces deux prétendues formes de l’homogène, temps et espace, dérive de l’autre, on peut affirmer a priori que l’idée d’espace est la donnée fonda­mentale. Mais, abusés par la simplicité apparente de l’idée de temps, les philosophes qui ont essayé d’une réduction de ces deux idées ont cru pouvoir construire la représentation de l’espace avec celle de la durée. En montrant le vice de cette théorie, nous ferons voir comment le temps, conçu sous la forme d’un milieu indéfini et homogène, n’est que le fantôme de l’espace obsédant la conscience réfléchie.

L’école anglaise s’efforce en effet de ramener les rapports d’étendue à des rapports plus ou moins complexes de succession dans la durée. Quand, les yeux fermés, nous promenons la main le long d’une surface, le frottement de nos doigts contre cette surface et surtout le jeu