Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/79

Cette page n’a pas encore été corrigée

entre ces deux espèces de multiplicité quand il parle de l’impénétrabilité de la matière. On érige parfois l’impénétrabilité en propriété fondamentale des corps, connue de la même manière et admise au même titre que la pesanteur ou la résistance par exemple. Cependant une propriété de ce genre, purement négative, ne saurait nous être révélée par les sens ; même, certaines expériences de mélange et de combinaison nous amèneraient à la révoquer en doute, si notre conviction n’était faite sur ce point. Imaginez qu’un corps pénètre un autre corps : vous supposerez aussitôt dans celui-ci des vides où les particules du premier viendront se loger ; ces particules à leur tour ne pourront se pénétrer que si l’une d’elles se divise pour remplir les interstices de l’autre ; et notre pensée continuera cette opération indéfiniment plutôt que de se représenter deux corps à la même place. Or, si l’impénétrabilité était réellement une qualité de la matière, connue par les sens, on ne voit pas pourquoi nous éprouverions plus de difficulté à concevoir deux corps se fondant l’un dans l’autre qu’une surface sans résistance ou un fluide impondérable. De fait, ce n’est pas une nécessité d’ordre physique, c’est une nécessité logique qui s’attache à la proposition suivante : deux corps ne sauraient occuper en même temps le même lieu. L’affirmation contraire renferme une absurdité qu’aucune expé­rience concevable ne réussirait à dissiper : bref, elle implique contradiction. Mais cela ne revient-il pas à reconnaître que l’idée même du nombre deux, ou plus généralement d’un nombre quelconque, renferme celle d’une juxtapo­sition dans l’espace ? Si l’impénétrabilité passe le plus souvent pour une qualité de la matière, c’est parce que l’on considère l’idée du nombre comme indépendante de l’idée d’espace. On croit alors ajouter quelque chose à la représentation de deux ou plusieurs objets en disant qu’ils ne sauraient occuper le même