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si ce n’est pas avec des points de l’espace qu’on aura compté les moments de la durée. Certes, il est possible d’apercevoir dans le temps, et dans le temps seulement, une succession pure et simple, mais non pas une addition, c’est-à-dire une succession qui aboutisse à une somme. Car si une somme s’obtient par la considération successive de différents termes, encore faut-il que chacun de ces termes demeure lorsqu’on passe au suivant, et attende, pour ainsi dire, qu’on l’ajoute aux autres : comment attendrait-il, s’il n’était qu’un instant de la durée ? et où attendrait-il, si nous ne le localisions dans l’espace ? Involontairement, nous fixons en un point de l’espace chacun des moments que nous comptons, et c’est à cette condition seulement que les unités abstraites forment une somme. Sans doute il est possible, comme nous le montrerons plus loin, de concevoir les moments successifs du temps indépendamment de l’espace ; mais lorsqu’on ajoute à l’instant actuel ceux qui le précédaient, comme il arrive quand on additionne des unités, ce n’est pas sur ces instants eux-mêmes qu’on opère, puisqu’ils sont à jamais évanouis, mais bien sur la trace durable qu’ils nous paraissent avoir laissée dans l’espace en le traversant. Il est vrai que nous nous dispensons le plus souvent de recourir à cette image, et qu’après en avoir usé pour les deux ou trois premiers nombres, il nous suffit de savoir qu’elle servirait aussi bien à la représentation des autres, si nous en avions besoin. Mais toute idée claire du nombre implique une vision dans l’espace ; et l’étude directe des unités qui entrent dans la composition d’une multiplicité distincte va nous conduire, sur ce point, à la même conclusion que l’examen du nombre lui-même.

Tout nombre est une collection d’unités, avons-nous dit, et d’autre part tout nombre est une unité lui-même, en tant que synthèse des’unités qui le composent. Mais