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confus interprète comme telles, on aboutira, en effet, à une loi comme celle que propose M. Delbœuf. Mais il ne faudra pas oublier que la conscience a passé par les mêmes intermédiaires que le psychophysicien, et que son jugement vaut ici ce que vaut la psycho­physique : c’est une interprétation symbolique de la qualité en quantité, une évaluation plus ou moins grossière du nombre des sensations qui se pourraient intercaler entre deux sensations données. La différence n’est donc pas aussi considérable qu’on le croit entre la méthode des modifications minima et celle des graduations moyennes, entre la psychophysique de Fechner et celle de M. Delbœuf. La première aboutit à une mesure conventionnelle de la sensation ; la seconde en appelle au sens commun dans les cas particuliers où il adopte une convention analogue. Bref, toute psychophysique est condamnée par son origine même a tourner dans un cercle vicieux, car le postulat théorique sur lequel elle repose la condamne à une vérification expérimentale, et elle ne peut être vérifiée expérimentalement que si l’on admet d’abord son postulat. C’est qu’il n’y a pas de point de contact entre l’inétendu et l’étendu, entre la qualité et la quantité. On peut interpréter l’une par l’autre, ériger l’une en équivalent de l’autre ; mais, tôt ou tard, au commencement ou à la fin, il faudra reconnaître le caractère conventionnel de cette assimilation.

À vrai dire, la psychophysique n’a fait que formuler avec précision et pousser à ses conséquences extrêmes une conception familière au sens commun. Comme nous parlons plutôt que nous ne pensons, comme aussi les objets extérieurs, qui sont du domaine commun, ont plus d’importance pour nous que les états subjectifs par lesquels nous passons, nous avons tout intérêt à objectiver ces états en y introduisant, dans la plus large mesure possible, la représentation de leur cause extérieure. Et plus