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sur le sens véritable de la loi psycho­physique, une fois établie. Mais par cela seul que l’on considère ∆S comme une quantité et S comme une somme, on admet le postulat fondamental de l’opération entière.

Or, c’est ce postulat qui nous paraît contestable, et même assez peu intelligible. Supposez, en effet, que j’éprouve une sensation S, et que, faisant croître l’excitation d’une manière continue, je m’aperçoive de cet accroisse­ment au bout d’un certain temps. Me voilà averti de l’accroissement de la cause : mais quel rapport établir entre cet avertissement et une différence ? Sans doute l’avertissement consiste ici en ce que l’état primitif S a changé ; il est devenu S’; mais pour que le passage de S à S’fût comparable à une différence arithmétique, il faudrait que j’eusse conscience, pour ainsi dire, d’un intervalle entre S et S’, et que ma sensibilité montât de S à S’par l’addition de quelque chose. En donnant à ce passage un nom, en l’appelant ∆S, vous en faites une réalité d’abord, une quantité ensuite. Or, non seulement vous ne sauriez expliquer en quel sens ce passage est une quantité, mais vous vous apercevrez, en y réfléchissant, que ce n’est même pas une réalité ; il n’y a de réels que les états S et S’par lesquels on passe. Sans doute, si S et S’étaient des nombres, je pourrais affirmer la réalité de la différence S’— S, lors même que S’et S seraient seuls donnés : c’est que le nombre S’— S, qui est une certaine somme d’unités, représentera précisément alors les moments succes­sifs de l’addition par laquelle on passe de S à S’. Mais si S et S’sont des états simples, en quoi consistera l’intervalle qui les sépare ? Et que sera donc le passage du premier état au second, sinon un acte de votre pensée, qui assimile arbitrairement, et pour le besoin de la cause, une succession de deux états à une différenciation de deux grandeurs ?

Ou vous vous en tenez à ce que la conscience vous