Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/50

Cette page n’a pas encore été corrigée

nombre des sources de lumière, les arêtes des corps ne se détachent pas de la même manière, non plus que les ombres qu’ils projettent. Mais il faut faire une part plus large encore, croyons-nous, aux changements de teinte que subissent les surfaces colorées — même les couleurs pures du spectre —-— sous l’influence d’une lumière plus faible ou plus brillante. A mesure que la source lumineuse se rapproche, le violet prend une teinte bleuâtre, le vert tend au jaune blanchâtre et le rouge au jaune brillant. Inverse­ment, quand cette lumière s’éloigne, le bleu d’outremer passe au violet, le jaune au vert ; finalement le rouge, le vert et le violet se rapprochent du jaune blanchâtre. Ces changements de teinte ont été remarqués depuis un certain temps par les physiciens[1] ; mais ce qui est autrement remarquable, selon nous, c’est que la plupart des hommes ne s’en aperçoivent guère, à moins d’y prêter attention ou d’en être avertis. Décidés à interpréter les changements de qualité en changements de quantité, nous commençons par poser en principe que tout objet a sa couleur propre, déterminée et invariable. Et quand la teinte des objets se rapprochera du jaune ou du bleu, au lieu de dire que nous voyons leur couleur changer sous l’influence d’un accroissement ou d’une diminution d’éclairage, nous affirmerons que cette couleur reste la même, mais que notre sensation d’intensité lumineuse augmente ou diminue. Nous substituons donc encore à l’impression qualitative que notre conscience reçoit l’interprétation quantitative que notre entendement en donne. Helmholtz a signalé un phéno­mène d’interprétation du même genre, mais plus compliqué encore : « Si l’on compose du blanc, dit-il, avec deux couleurs spectrales, et qu’on augmente ou diminue dans le même rapport les intensités des deux lumières chromatiques, de telle sorte

  1. ROOD, Théorie scientifique des couleurs, pp. 154-159.