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Voyez encore, voyez surtout si vous ne faites pas intervenir l’effort antagoniste de plus en plus intense, c’est-à-dire de plus en plus étendu, que vous opposez à la pression extérieure. Lorsque le psychophysicien soulève un poids plus lourd, il éprouve, dit-il, un accroissement de sensation. Examinez si cet accroissement de sensation ne devrait pas plutôt s’appeler une sensation d’accroissement. Toute la question est là, car dans le premier cas la sensation serait une quantité, comme sa cause extérieure, et dans le second une qualité, devenue représentative de la grandeur de sa cause. La distinction du lourd et du léger pourra paraître aussi arriérée, aussi naïve que celle du chaud et du froid. Mais la naïveté même de cette distinction en fait une réalité psychologique. Et non seulement le lourd et le léger constituent pour notre conscience des genres différents, mais les degrés de légèreté et de lourdeur sont autant d’espèces de ces deux genres. Il faut ajouter que la différence de qualité se traduit spontanément ici en différence de quantité, à cause de l’effort plus ou moins étendu que notre corps fournit pour soulever un poids donné. Vous vous en convaincrez sans peine si l’on vous invite à soulever un panier que l’on vous aura dit rempli de ferraille, alors qu’il est vide en réalité. Vous croirez perdre l’équilibre en le saisissant, comme si des muscles étrangers s’étaient intéressés par avance à l’opération et en éprouvaient un brusque désappointement. C’est surtout au nombre et à la nature de ces efforts sympathiques, accomplis sur divers points de l’organisme, que vous mesurez la sensation de pesanteur en un point donné ; et cette sensation ne serait qu’une qualité si vous n’y introduisiez ainsi l’idée d’une grandeur. Ce qui fortifie d’ailleurs votre illusion sur ce point, c’est l’habitude contractée de croire à la perception immédiate d’un mouvement homogène dans un espace homogène. Quand je soulève avec le bras un poids léger, tout le reste de mon corps demeurant immobile, j’éprouve une série de sensations musculaires