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cuter les efforts les plus violents et les plus variés pour échapper à la cause qui la produit… Dans la souffrance intense, la bouche se contracte fortement, les lèvres se crispent, les dents se serrent. Tantôt les yeux s’ouvrent tout grands, tantôt les sourcils se contractent fortement le corps est baigné de sueur ; la circulation se modifie ainsi que la respiration[1]. » — N’est-ce pas précisément à cette contraction des muscles intéressés que nous mesurons l’intensité d’une douleur ? Analysez l’idée que vous vous faites d’une souffrance que vous déclarez extrême : n’entendez-vous pas par là qu’elle est insupportable, c’est-à-dire qu’elle incite l’organisme à mille actions diverses pour y échapper ? On conçoit qu’un nerf transmette une douleur indépendante de toute réaction auto­matique ; on conçoit aussi que des excitations plus ou moins fortes influencent ce nerf diversement. Mais ces différences de sensations ne seraient point interprétées par votre conscience comme des différences de quantité, si vous n’y rattachiez les réactions plus ou moins étendues, plus ou moins graves, qui ont coutume de les accompagner. Sans ces réactions consé­cutives, l’intensité de la douleur serait une qualité, et non pas une grandeur.

Nous n’avons guère d’autre moyen pour comparer entre eux plusieurs plaisirs. Qu’est-ce qu’un plus grand plaisir, sinon un plaisir préféré ? Et que peut être notre préférence sinon une certaine disposition de nos organes, qui fait que, les deux plaisirs se présentant simultanément à notre esprit, notre corps incline vers l’un d’eux ? Analysez cette inclination elle-même, et vous y trouverez mille petits mouvements qui commencent, qui se dessinent dans les organes intéressés et même dans le reste du corps, comme si l’organisme allait au-devant du plaisir représenté. Quand on définit l’inclination un mouvement, on ne fait pas une métaphore.

  1. Expression des émotions, page 84.