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concert de ces états psychiques élémentaires exprime les exigences nouvelles de l’organisme, en présence de la nouvelle situation qui lui est faite. En d’autres termes, nous évaluons l’intensité d’une douleur à l’intérêt qu’une partie plus ou moins grande de l’organisme veut bien y prendre. M. Richet[1] a observé qu’on rapportait son mal à un endroit d’autant plus précis que la douleur est plus faible : si elle devient plus intense, on la rapporte à tout le membre malade. Et il conclut en disant que « la douleur s’irradie d’autant plus qu’elle est plus intense[2] ». Nous croyons qu’il faut retourner cette proposition, et définir précisément l’intensité de la douleur par le nombre et l’étendue des parties du corps qui sympathisent avec elle et réagissent, au vu et su de la conscience. Il suffira, pour s’en convaincre, de lire la remarquable description que le même auteur a donnée du dégoût : « Si l’excitation est faible, il peut n’y avoir ni nausée ni vomissement… Si l’excitation est plus forte, au lieu de se limiter au pneumo-gastrique elle s’irradie et porte sur presque tout le système de la vie organique. La face pâlit, les muscles lisses de la peau se contractent, la peau se couvre d’une sueur froide, le cœur suspend ses battements : en un mot, il y a perturbation organique générale consécutive à l’excitation de la moelle allongée, et cette perturbation est l’expression suprême du dégoût[3]. » — Mais n’en est-elle que l’expression ? En quoi consistera donc la sensation générale de dégoût, sinon dans la somme de ces sensations élémentaires ? Et que pouvons-nous entendre ici par intensité croissante, si ce n’est le nombre toujours croissant de sensations qui viennent s’ajouter aux sensations déjà aperçues ? Darwin a tracé une peinture saisissante des réactions consécutives à une douleur de plus en plus aiguë : « Elle pousse l’animal à exé

  1. L’homme et l’intelligence, page 36.
  2. Ibid., page 37.
  3. Ibid., page 43.