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rien si elle n’est que la traduction consciente d’un mouvement de molécules ; car précisément parce que ce mouvement se traduit en sensation de plaisir ou de douleur, il demeure inconscient en tant que mouvement moléculaire.

Mais on pourrait se demander si le plaisir et la douleur, au lieu d’exprimer seulement ce qui vient de se passer ou ce qui se passe dans l’organisme, comme on le croit d’ordinaire, n’indiqueraient pas aussi ce qui va s’y produire, ce qui tend à s’y passer. Il semble en effet assez peu vraisemblable que la nature, si profondément utilitaire, ait assigné ici à la conscience la tâche toute scientifique de nous renseigner sur le passé ou le présent, qui ne dépendent plus de nous. Il faut remarquer en outre qu’on s’élève par degrés insensibles des mouvements automatiques aux mouvements libres, et que ces derniers diffèrent surtout des précédents en ce qu’ils nous présentent, entre l’action extérieure qui en est l’occasion et la réaction voulue qui s’ensuit, une sensation affective intercalée. On pourrait même concevoir que toutes nos actions fussent automatiques, et l’on connaît d’ailleurs une infinie variété d’êtres organisés chez qui une excitation extérieure engendre une réaction déterminée sans passer par l’intermédiaire de la conscience. Si le plaisir et la douleur se produisent chez quelques privilégiés, c’est vraisemblablement pour autoriser de leur part une résistance à la réaction automatique qui se produirait ; ou la sensation n’a pas de raison d’être, ou c’est un commencement de liberté. Mais comment nous permettrait-elle de résister à la réaction qui se prépare si elle ne nous en faisait connaître la nature par quelque signe précis ? et quel peut être ce signe, sinon l’esquisse et comme la préformation des mouvements automa­tiques futurs au sein même de la sensation éprouvée ? L’état affectif ne doit donc pas correspondre seulement aux ébranlements, mouvements ou phéno­mènes physiques qui ont été, mais