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peau de la tête, cette pression de dehors en dedans sur tout le crâne, que l’on éprouve quand on fait un grand effort pour se rappeler quelque chose. M. Ribot a étudié de plus près les mouvements caractéristiques de l’attention volontaire. « L’attention, dit-il, contracte le frontal : ce muscle… tire à lui le sourcil, l’élève, et détermine des rides transversales sur le front… Dans les cas extrêmes, la bouche s’ouvre largement. Chez les enfants et chez beaucoup d’adultes, l’attention vive produit une protrusion des lèvres, une espèce de moue ». Certes, il entrera toujours dans l’attention volontaire un facteur purement psychique, quand ce ne serait que l’exclusion, par la volonté, de toutes les idées étrangères à celle dont on désire s’occuper. Mais, une fois cette exclusion faite, nous croyons encore avoir conscience d’une tension croissante de l’âme, d’un effort immatériel qui grandit. Analysez cette impression, et vous n’y trouverez point autre chose que le sentiment d’une contraction musculaire qui gagne en surface ou change de nature, la tension devenant pression, fatigue, douleur.

Or, nous ne voyons pas de différence essentielle entre l’effort d’attention et ce qu’on pourrait appeler l’effort de tension de l’âme : désir aigu, colère déchaînée, amour passionné, haine violente. Chacun de ces états se réduirait, croyons-nous, à un système de contractions musculaires coordonnées par une idée : mais dans l’attention c’est l’idée plus ou moins réfléchie de connaître : dans l’émotion, l’idée irréfléchie d’agir. L’intensité de ces émotions violentes ne doit donc point être autre chose que la tension musculaire qui les accompagne. Darwin a remarquablement décrit les symptômes physiologiques de la fureur. « Les battements du cœur s’accélèrent : la face rougit ou prend une pâleur cadavérique ; la respiration est laborieuse ; la poitrine se soulève ; les narines frémissantes se dilatent. Souvent le corps entier tremble. La voix s’altère ; les dents se serrent