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de l’effort est centripète, et non pas centrifuge. Nous ne prenons pas conscience d’une force que nous lancerions dans l’organisme : notre sentiment de l’énergie musculaire déployée « est une sensation afférente complexe, qui vient des muscles contractés, des ligaments tendus, des articulations comprimées, de la poitrine fixée, de la glotte fermée, du sourcil froncé, des mâchoires serrées », bref, de tous les points de la périphérie où l’effort apporte une modification.

Il ne nous appartient pas de prendre position dans le débat. Aussi bien, la question qui nous préoccupe n’est-elle pas de savoir si le sentiment de l’effort vient du centre ou de la périphérie, mais en quoi consiste au juste notre perception de son intensité. Or, il suffit de s’observer attentivement soi-même pour aboutir, sur ce dernier point, à une conclusion que M. James n’a pas formulée, mais qui nous paraît tout à fait conforme à l’esprit de sa doctrine. Nous prétendons que plus un effort donné nous fait l’effet de croître, plus augmente le nombre des muscles qui se contractent sympathiquement, et que la conscience apparente d’une plus grande intensité d’effort sur un point donné de l’organisme se réduit, en réalité, à la perception d’une plus grande surface du corps s’intéressant à l’opération.

Essayez, par exemple, de serrer le poing « de plus en plus ». Il vous semblera que la sensation d’effort, tout entière localisée dans votre main, passe successivement par des grandeurs croissantes. En réalité, votre main éprouve toujours la même chose. Seulement, la sensation qui y était localisée d’abord a envahi votre bras, remonté jusqu’à l’épaule ; finalement, l’autre bras se raidit, les deux jambes l’imitent, la respiration s’arrête ; c’est le corps qui donne tout entier. Mais vous ne vous rendez distinctement compte de ces mouvements concomitants qu’à la condition d’en être averti ; jusque là, vous pen-