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poing qui n’est pas malade. Ferrier signalait un phénomène plus curieux encore[1]. Étendez le bras en recourbant légèrement votre index, comme si vous alliez presser la détente d’un pistolet : vous pourrez ne pas remuer le doigt, ne contracter aucun muscle de la main, ne produire aucun mouvement apparent, et sentir pourtant que vous dépensez de l’énergie. Toutefois, en y regardant de plus près, vous vous apercevrez que cette sensation d’effort coïncide avec la fixation des muscles de votre poitrine, que vous tenez la glotte fermée, et que vous contractez activement vos muscles respiratoires. Dès que la respiration reprend son cours normal, la conscience de l’effort s’évanouit, à moins qu’on ne meuve réellement le doigt. Ces faits semblaient déjà indiquer que nous n’avons pas conscience d’une émission de force, mais du mouvement des muscles qui en est le résultat. L’originalité de M. William James a été de vérifier l’hypothèse sur des exemples, qui y paraissaient absolument réfractaires. Ainsi, quand le muscle droit externe de l’œil droit est paralysé, le malade essaie en vain de tourner l’œil du côté droit ; pourtant les objets lui paraissent fuir à droite, et puisque l’acte de volonté n’a produit aucun effet, il faut bien, disait Helmholtz[2], que l’effort même de la volonté se soit manifesté à la conscience. — Mais on n’a pas tenu compte, répond M. James, de ce qui se passe dans l’autre œil : celui-ci reste couvert pendant les expériences ; il se meut néanmoins, et l’on s’en convaincra sans peine. C’est ce mouvement de l’œil gauche, perçu par la conscience, qui nous donne la sensation d’effort, en même temps qu’il nous fait croire au mouvement des objets aperçus par l’œil droit. Ces observations, et d’autres analogues, conduisent M. James à affirmer que le sentiment

  1. Les fonctions du cerveau, page 358 (trad. fr.).
  2. Optique physiologique, trad. fr., page 764.