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momentanément. L’intensité croissante de la pitié consiste donc dans un progrès qualitatif, dans un passage du dégoût à la crainte, de la crainte à la sympathie, et de la sympathie elle-même à l’humilité.


Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse. Les états psychiques dont nous venons de définir l’intensité sont des états profonds, qui ne paraissent point solidaires de leur cause extérieure, et qui ne semble pas non plus enve­lopper la perception d’une contraction musculaire. Mais ces états sont rares. Il n’y a guère de passion ou de désir, de joie ou de tristesse, qui ne s’accompagne de symptômes physiques ; et, là où ces symptômes se présentent, ils nous servent vraisemblablement à quelque chose dans l’appréciation des intensités. Quant aux sensations proprement dites, elles sont manifestement liées à leur cause extérieure, et, quoique l’intensité de la sensation ne se puisse définir par la grandeur de sa cause, il existe sans doute quelque rapport entre ces deux termes. Même, dans certaines de ses manifestations, la conscience paraît s’épanouir au dehors, comme si l’intensité se développait en étendue : tel est l’effort musculaire. Plaçons-nous tout de suite en face de ce dernier phéno­mène : nous nous transporterons ainsi d’un seul bond à l’extrémité opposée de la série des faits psychologiques.


S’il est un phénomène qui paraisse se présenter immédiatement à la conscience sous forme de quantité ou tout au moins de grandeur, c’est sans contredit l’effort musculaire. Il nous semble que la force psychique, empri­sonnée dans l’âme comme les vents dans l’antre d’Éole, y attende seulement une occasion de s’élancer dehors ; la volonté surveillerait cette force, et, de temps à autre, lui ouvrirait une issue, proportionnant l’écoulement à l’effet désiré. Même, en y réfléchissant bien, on verra que cette