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et les déterministes d’un côté, les Kantiens de l’autre. Comme ils n’envisagent de notre vie consciente que son aspect le plus commun, ils aperçoivent des états bien tranchés, capables de se reproduire dans le temps à la manière des phénomènes physiques, et auxquels la loi de détermination causale s’applique, si l’on veut, dans le même sens qu’aux phénomènes de la nature. Comme, d’autre part, le milieu où se juxtaposent ces états psychiques présente des parties extérieures les unes aux autres, où les mêmes faits semblent suscep­tibles de se reproduire à nouveau, ils n’hésitent pas à faire du temps un milieu homogène, et à le traiter comme de l’espace. Dès lors toute différence est abolie entre la durée et l’étendue, entre la succession et la simultanéité ; il ne reste plus qu’à proscrire la liberté, ou, si on la respecte par scrupule moral, à la reconduire avec beaucoup d’égards dans le domaine intemporel des choses en soi, dont notre conscience ne dépasse pas le seuil mystérieux. Mais il y aurait, selon nous, un troisième parti à prendre : ce serait de nous reporter par la pensée à ces moments de notre existence où nous avons opté pour quelque décision grave, moments uniques dans leur genre, et qui ne se reproduiront pas plus que ne reviennent, pour un peuple, les phases disparues de son histoire. Nous verrions que si ces états passés ne peuvent s’exprimer adéqua­tement par des paroles ni se reconstituer artificiellement par une juxtaposition d’états plus simples, c’est parce qu’ils représentent, dans leur