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travers certaines formes empruntées au monde extérieur, lequel nous rendrait ainsi ce que nous lui avons prêté. A priori, il paraît assez vraisemblable que les choses se passent ainsi. Car à supposer que les formes dont on parle, et auxquelles nous adaptons la matière, viennent entièrement de l’esprit, il semble difficile d’en faire une application constante aux objets sans que ceux-ci déteignent bientôt sur elles : en utilisant alors ces formes pour la connaissance de notre propre personne, nous risquons de prendre pour la coloration même du moi un reflet du cadre où nous le plaçons, c’est-à-dire, en définitive, du monde extérieur. Mais on peut aller plus loin, et affirmer que des formes applicables aux choses ne sauraient être tout à fait notre œuvre ; qu’elles doivent résulter d’un compromis entre la matière et l’esprit ; que si nous donnons à cette matière beaucoup, nous en recevons sans doute quelque chose ; et qu’ainsi, lorsque nous essayons de nous ressaisir nous-mêmes après une excursion dans le monde extérieur, nous n’avons plus les mains libres.

Or, de même que pour déterminer les rapports véritables des phénomènes physiques entre eux nous faisons abstraction de ce qui, dans notre manière de percevoir et de penser, leur répugne manifestement, ainsi, pour contempler le moi dans sa pureté originelle, la psychologie devrait éliminer ou corriger certaines formes qui portent la marque visible du monde extérieur. — Quelles sont ces formes ? Isolés les uns des autres, et considérés comme autant d’unités distinctes, les états psychologiques paraissent plus ou moins intenses. Envisagés ensuite dans leur multiplicité, ils se déroulent dans le temps, ils constituent la durée. Enfin, dans leurs rapports entre eux, et en tant qu’une certaine unité se conserve à travers leur multiplicité, ils paraissent se détermi­ner les uns les autres. — Intensité, durée, détermination volontaire, voilà les