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voit la spontanéité se résoudre en inertie et la liberté en nécessité. — C’est pourquoi toute définition de la liberté donnera raison au déterminisme.

Définira-t-on en effet l’acte libre en disant de cet acte, une fois accompli, qu’il eût pu ne pas l’être ? Mais cette assertion — comme l’assertion contraire — implique l’idée d’une équivalence absolue entre la durée concrète et son symbole spatial : et dès que l’on admet cette équivalence, on aboutit, par le développement même de la formule qu’on vient d’énoncer, au plus inflexible déterminisme.

Définira-t-on l’acte libre, « celui qu’on ne saurait prévoir, même quand on en connaît à l’avance toutes les conditions » ? Mais concevoir toutes les conditions comme données, c’est, dans la durée concrète, se placer au moment même où l’acte s’accomplit. Ou bien alors on admet que la matière de la durée psychique peut se représenter symboliquement à l’avance, ce qui revient, avons-nous dit, à traiter le temps comme un milieu homogène, et à admettre sous une nouvelle forme l’équivalence absolue de la durée et de son symbole. En approfondissant cette seconde définition de la liberté, on aboutira donc encore au déterminisme.

Définira-t-on enfin l’acte libre en disant qu’il n’est pas nécessairement déterminé par sa cause ? Mais ou ces mots perdent toute espèce de signifi­cation, ou l’on entend par là que les mêmes causes internes ne provoqueront pas toujours les mêmes effets. On admet donc que les antécédents psychiques d’un acte libre sont susceptibles de se reproduire à nouveau, que la liberté se déploie dans une durée dont les moments se ressemblent, et que le temps est un milieu homogène, comme l’espace. Par là même on sera ramené à l’idée d’une équivalence entre la durée et son symbole spatial ; et en pressant la définition qu’on aura posée de la liberté, on en fera encore une fois sortir le déterminisme.