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même temps qu’elle traitait ces qualités comme des états internes, c’est-à-dire simples. Il était réservé à Leibnitz de faire tomber cette contradiction, et de montrer que si l’on entend la succession des qualités ou phénomènes externes comme la succession de nos propres idées, on doit faire de ces qualités des états simples ou perceptions, et de la matière qui les supporte une monade inétendue, analogue à notre âme. Dès lors les états successifs de la matière ne pourront pas plus être perçus du dehors que ne le sont nos propres états psychologiques ; il faudra introduire l’hypothèse de l’harmonie préétablie pour expliquer comment tous ces états internes sont représentatifs les uns des autres. Ainsi, avec notre seconde conception du rapport de causalité, nous aboutissons à Leibnitz, comme avec la première à Spinoza. Et, dans l’un et l’autre cas, nous ne faisons que pousser à l’extrême ou formuler avec plus de précision deux idées timides et confuses du sens commun.

Or, il est évident que le rapport de causalité, entendu de cette seconde manière, n’entraîne pas la détermination de l’effet par la cause. L’histoire même en fait foi. Nous voyons que l’hylozoïsme antique, premier dévelop­pement de cette conception de la causalité, expliquait la succession régulière des causes et des effets par un véritable deus ex machina — c’était tantôt une nécessité extérieure aux choses et planant sur elles, tantôt une Raison interne, se guidant sur des règles assez semblables à celles qui dirigent notre conduite. Les perceptions de la monade de Leibnitz ne se nécessitent pas davantage les unes les autres ; il faut que Dieu en ait réglé l’ordre par avance. Le déter­minisme de Leibnitz ne vient pas, en effet, de sa conception de la monade, mais de ce qu’il construit l’univers avec des monades seulement. Ayant nié toute influence mécanique des substances les unes sur les autres, il devait néanmoins expliquer comment leurs états se correspondent. De là un