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même. C’est pourquoi il ne saurait être question d’abréger la durée à venir pour s’en représenter à l’avance les frag­ments ; on ne peut que vivre cette durée, au fur et à mesure qu’elle se déroule. Bref, dans la région des faits psychologiques profonds, il n’y a pas de différence sensible entre prévoir, voir et agir.

Il ne restera plus guère au déterministe qu’un seul parti à prendre. Il renoncera à alléguer la possibilité de prévoir dès aujourd’hui un certain acte ou état de conscience à venir, mais affirmera que tout acte est déterminé par ses antécédents psychiques, ou, en d’autres termes, que les faits de conscience obéissent à des lois comme les phénomènes de la nature. Cette argumentation consiste, au fond, à ne pas entrer dans le détail des faits psychologiques con­crets, par la crainte instinctive de se trouver en face de phénomènes qui défient toute représentation symbolique, toute prévision par conséquent. On laisse alors la nature propre de ces phénomènes dans l’ombre, mais on affirme qu’en leur qualité de phénomènes ils restent soumis à la loi de causalité. Or cette loi veut que tout phénomène soit déterminé par ses conditions, ou, en d’autres termes, que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il faudra donc, ou que l’acte soit indissolublement lié à ses antécédents psychiques, ou que le principe de causalité souffre une incompréhensible exception.

Cette dernière forme de l’argumentation déterministe diffère moins qu’on ne pourrait le croire de toutes celles qui ont été examinées précédemment. Dire que les mêmes causes internes produisent les mêmes effets, c’est suppo­ser que la même cause peut se présenter à plusieurs reprises sur le théâtre de la conscience. Or, notre conception de la durée ne tend à rien moins qu’à affirmer l’hétérogénéité radicale des faits psychologiques profonds, et l’impos­sibilité pour deux d’entre eux de se ressembler tout à fait,