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l’espace, puisque, par hypothèse, Pierre décrit cette ligne. Mais vous ne prouvez plus ainsi que Paul ait prévu l’action de Pierre ; vous constatez seulement que Pierre a agi comme il a fait, puisque Paul est devenu Pierre. Il est vrai que vous revenez ensuite, sans y prendre garde, à votre première hypothèse, parce que vous confondez sans cesse la ligne MOXY se traçant avec la ligne MOXY tracée, c’est-à-dire le temps avec l’espace. Après avoir identifié Paul avec Pierre pour les besoins de la cause, vous faites reprendre à Paul son ancien poste d’observation, et il aperçoit alors la ligne MOXY complète, ce qui n’est pas étonnant, puisqu’il vient de la compléter.

Ce qui rend la confusion naturelle, et même inévitable, c’est que la science paraît fournir des exemples indiscutés d’une prévision de l’avenir. Ne détermine-t-on pas à l’avance les conjonctions d’astres, les éclipses de soleil et de lune, et le plus grand nombre des phénomènes astronomiques ? L’intelli­gence humaine n’embrasse-t-elle pas alors, dans le moment présent, une portion aussi grande qu’on voudra de la durée à venir ? — Nous le reconnais­sons sans peine ; mais une prévision de ce genre n’a pas la moindre ressem­blance avec celle d’un acte volontaire. Même, comme nous allons voir, les raisons qui font que la prédiction d’un phénomène astronomique est possible sont précisément les mêmes qui nous empêchent de déterminer à l’avance un fait émanant de l’activité libre. C’est que l’avenir de l’univers matériel, quoique contemporain de l’avenir d’un être conscient, n’a aucune analogie avec lui.

Pour faire toucher du doigt cette différence capitale, supposons un instant qu’un malin génie, plus puissant encore que le malin génie de Descartes, ordonnât à tous les mouvements de l’univers d’aller deux fois plus vite. Rien ne serait changé aux phénomènes astronomiques, ou