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construite que si l’on se place dans l’hypothèse d’une délibération achevée et d’une résolution prise. Vous aurez beau la tracer à l’avance ; c’est que vous vous supposerez alors arrivé au terme, et assistant par imagination à l’acte final. Bref, cette figure ne me montre pas l’action s’accom­plissant, mais l’action accomplie. Ne me demandez donc pas si le moi, ayant parcouru le chemin MO et s’étant décidé pour X, pouvait ou ne pouvait pas opter pour Y : je répondrais que la question est vide de sens, parce qu’il n’y a pas de ligne MO, pas de point O, pas de chemin OX, pas de direction OY. Poser une pareille question, c’est admettre la possibilité de représenter adéquatement le temps par de l’espace, et une succession par une simultanéité. C’est attribuer à la figure qu’on a tracée la valeur d’une image, et non plus seulement d’un symbole ; c’est croire que l’on pourrait suivre sur cette figure le processus de l’activité psychique, comme la marche d’une armée sur une carte. On a assisté à la délibération du moi dans toutes ses phases, et jusqu’à l’acte accompli. Alors, récapitulant les termes de la série, on aperçoit la succession sous forme de simultanéité, on projette le temps dans l’espace, et on raisonne, consciemment ou inconsciemment, sur cette figure géométrique. Mais cette figure représente une chose, et non pas un progrès  ; elle corres­pond, dans son inertie, au souvenir en quelque sorte figé de la délibération tout entière et de la décision finale que l’on a prise : comment nous fournirait-elle la moindre indication sur le mouvement concret, sur le progrès dynami­que, par lequel la délibération aboutit à l’acte ? Et pourtant, une fois la figure construite, on remonte par imagination dans le passé, et l’on veut que notre activité psychique ait suivi précisément le chemin tracé par la figure. On retombe ainsi dans l’illusion que nous avons signalée plus haut : on explique mécaniquement un fait, puis on substitue cette explication au fait lui-même. Aussi se heurte-