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impersonnel, il pourra les juxtaposer indéfiniment sans obtenir autre chose qu’un moi fantôme, l’ombre du moi se projetant dans l’espace. Que si, au contraire, il prend ces états psychologiques avec la colo­ration particulière qu’ils revêtent chez une personne déterminée et qui leur vient à chacun du reflet de tous les autres, alors point n’est besoin d’associer plusieurs faits de conscience pour reconstituer la personne : elle est tout entière dans un seul d’entre eux, pourvu qu’on sache le choisir. Et la mani­festation extérieure de cet état interne sera précisément ce qu’on appelle un acte libre, puisque le moi seul en aura été l’auteur, puisqu’elle exprimera le moi tout entier. En ce sens, la liberté ne présente pas le caractère absolu que le spiritualisme lui prête quelquefois ; elle admet des degrés. —Car il s’en faut que tous les états de conscience viennent se mêler à leurs congénères, comme des gouttes de pluie à l’eau d’un étang. Le moi, en tant qu’il perçoit un espace homogène, présente une certaine surface, et sur cette surface pourront se former et flotter des végétations indépendantes. Ainsi une suggestion reçue dans l’état d’hypnotisme ne s’incorpore pas à la masse des faits de conscience ; mais douée d’une vitalité propre, elle se substituera à la personne même quand son heure aura sonné. Une colère violente soulevée par quelque circonstance accidentelle, un vice héréditaire émergeant tout à coup des profondeurs obscures de l’organisme à la surface de la conscience, agiront à peu près comme une suggestion hypnotique. A côté de ces termes indépendants, on trouverait des séries plus complexes, dont les éléments se pénètrent bien les uns les autres, mais qui n’arrivent jamais à se fondre parfaitement elles-mêmes dans la masse compacte du moi. Tel est cet ensemble de sentiments et d’idées qui nous viennent d’une éducation mal comprise, celle qui s’adresse à la mémoire plutôt qu’au jugement. Il se forme ici, au sein