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fallait aussi que le sujet se l’expliquât ; et c’est l’acte futur qui a déterminé, par une espèce d’attraction, la série continue d’états psychiques d’où il sortira ensuite naturellement. Les déterministes s’empareront de cet argument : il prouve en effet que nous subissons parfois d’une manière irrésistible l’influence d’une volonté étran­gère. Mais ne nous ferait-il pas tout aussi bien comprendre comment notre propre volonté est capable de vouloir pour vouloir, et de laisser ensuite l’acte accompli s’expliquer par des antécédents dont il a été la cause ?

En nous interrogeant scrupuleusement nous-mêmes, nous verrons qu’il nous arrive de peser des motifs, de délibérer, alors que notre résolution est déjà prise. Une voix intérieure, à peine perceptible, murmure : « Pourquoi cette délibération ? tu en connais l’issue, et tu sais bien ce que tu vas faire. » Mais n’importe ! il semble que nous tenions à sauvegarder le principe du mécanisme, et à nous mettre en règle avec les lois de l’association des idées. L’intervention brusque de la volonté est comme un coup d’état dont notre intelligence aurait le pressentiment, et qu’elle légitime à l’avance par une délibération régulière. Il est vrai qu’on pourrait se demander si la volonté, même lorsqu’elle veut pour vouloir, n’obéit pas à quelque raison décisive, et si vouloir pour vouloir serait vouloir librement. Nous n’insisterons pas sur ce point pour le moment. Il nous suffira d’avoir montré que, même en se plaçant au point de vue de l’associationnisme, il est difficile d’affirmer l’absolue détermination de l’acte par ses motifs, et celle de nos états de conscience les uns par les autres. Sous ces apparences trompeuses une psychologie plus attentive nous révèle parfois des effets qui précèdent leurs causes, et des phénomènes d’attraction psychique qui échappent aux lois connues de l’association des idées. — Mais le moment est venu de se demander si le point de vue même où l’associationnisme se place