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venir de rien ; mais l’expérience seule nous dira quels sont les aspects ou fonctions de la réalité qui, scientifiquement, devront compter pour quelque chose, et quels sont ceux qui, au point de vue de la science positive, ne devront compter pour rien. Bref, pour prévoir l’état d’un système déterminé à un moment déterminé, il faut de toute nécessité que quelque chose s’y conserve en quantité constante à travers une série de combinaisons ; mais il appartient à l’expérience de prononcer sur la nature de cette chose, et surtout de nous faire savoir si on la retrouve dans tous les systèmes possibles, si tous les systèmes possibles, en d’autres termes, se prêtent à nos calculs. Il n’est pas démontré que tous les physiciens antérieurs à Leibnitz aient cru, comme Descartes, à la conservation d’une même quantité de mouvement dans l’univers : leurs découvertes en ont-elles eu moins de valeur, ou leurs recherches moins de succès ? Même lorsque Leibnitz eut substitué à ce principe celui de la conservation de la force vive, on ne pouvait considérer la loi ainsi formulée comme tout à fait générale, puisqu’elle admettait une exception évidente dans le cas du choc central de deux corps inélastiques. On s’est donc fort longtemps passé d’un principe conservateur universel. Sous sa forme actuelle, et depuis la constitution de la théorie mécanique de la chaleur, le principe de la conservation de l’énergie paraît bien applicable à l’univer­salité des phénomènes physico-chimiques. Mais rien ne dit que l’étude des phénomènes physiologiques en général, et nerveux en particulier, ne nous révélera pas à côté de la force vive ou énergie cinétique dont parlait Leibnitz, à côté de l’énergie potentielle qu’on a dû y joindre plus tard, quelque énergie d’un genre nouveau, qui se distingue des deux autres en ce qu’elle ne se prête plus au calcul. Les sciences de la nature ne perdraient rien par là de leur précision ni de leur rigueur géométrique, comme on l’a prétendu dans