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fier lui-même et à fixer ses propres contours par un appel aux sciences de la nature.

Toutefois, il faut bien reconnaître que la part de liberté qui nous reste après une application rigoureuse du principe de la conservation de la force est assez restreinte. Car si cette loi n’influe pas nécessairement sur le cours de nos idées, elle déterminera du moins nos mouvements. Notre vie intérieure dépendra bien encore de nous jusqu’à un certain point ; mais, pour un observateur placé au dehors, rien ne distinguera notre activité, d’un automatisme absolu. Il importe donc de se demander si l’extension que l’on fait du principe de la conservation de la force à tous les corps de la nature n’implique pas elle-même quelque théorie psychologique, et si le savant qui n’aurait a priori aucune prévention contre la liberté humaine songerait à ériger ce principe en loi universelle.

Il ne faudrait pas s’exagérer le rôle du principe de la conservation de l’énergie dans l’histoire des sciences de la nature. Sous sa forme actuelle, il marque une certaine phase de l’évolution de certaines sciences ; mais il n’a pas présidé à cette évolution, et on aurait tort d’en faire le postulat indispensable de toute recherche scientifique. Certes, toute opération mathématique que l’on exécute sur une quantité donnée implique la permanence de cette quantité à travers le cours de l’opération de quelque manière qu’on la décompose. En d’autres termes, ce qui est donné est donné, ce qui n’est pas donné n’est pas donné, et dans quelque ordre qu’on fasse la somme des mêmes termes, on trouvera le même résultat. La science demeurera éternellement soumise à cette loi, qui n’est que la loi de non-contradiction ; mais cette loi n’implique aucune hypothèse spéciale sur la nature de ce qu’on devra se donner, ni de ce qui restera constant. Elle nous avertit bien, en un certain sens, que quelque chose ne saurait