Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lélisme aux séries elles-mêmes dans leur totalité, c’est trancher a priori le problème de la liberté. Cela est permis, assurément, et les plus grands penseurs n’ont point hésité à le faire ; mais aussi, comme nous l’annoncions d’abord, ce n’est pas pour des raisons d’ordre physique qu’ils affirmaient la correspondance rigoureuse des états de conscience aux modes de l’étendue. Leibnitz l’attribuait à une harmonie préétablie, sans admettre qu’en aucun cas le mouvement pût engendrer la perception, à la manière d’une cause produisant son effet. Spinoza disait que les modes de la pensée et les modes de l’étendue se correspondent, mais sans jamais s’influencer : ils développeraient, dans deux langues différentes, la même éternelle vérité. Mais la pensée du déterminisme physique, telle qu’elle se produit de notre temps, est loin d’offrir la même clarté, la même rigueur géométrique. On se représente des mouvements moléculaires s’accomplissant dans le cerveau ; la conscience s’en dégagerait parfois sans qu’on sache comment, et en illuminerait la trace à la manière d’une phosphorescence. Ou bien encore en songera à ce musicien invisible qui joue derrière la scène pendant que l’acteur touche un clavier dont les notes ne résonnent point : la conscience viendrait d’une région inconnue se superposer aux vibrations moléculaires, comme la mélodie aux mouvements rythmés de l’acteur. Mais, à quelque image que l’on se reporte, on ne démontre pas, on ne démontrera jamais que le fait psychologique soit déterminé nécessairement par le mouvement moléculaire. Car dans un mouvement on trouvera la raison d’un autre mouvement, mais non pas celle d’un état de conscience : seule, l’expérience pourra établir que ce dernier accompagne l’autre. Or la liaison constante des deux termes n’a été vérifiée expérimentalement que dans un nombre très restreint de cas, et pour des faits qui, de l’aveu de tous, sont à peu près indépendants de la volonté. Mais il est aisé de com-