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sans cette pénétration mutuelle et ce progrès en quelque sorte qualitatif, il n’y aurait pas d’addition possible. — C’est donc grâce à la qualité de la quantité que nous formons l’idée d’une quantité, sans qualité.

Il devient dès lors évident qu’en dehors de toute représentation symbolique le temps ne prendra jamais pour notre conscience l’aspect d’un milieu homogène, où les termes d’une succession s’extériorisent les uns par rapport aux autres. Mais nous arrivons naturellement à cette représentation symbo­lique par ce seul fait que, dans une série de termes identiques, chaque terme prend pour notre conscience un double aspect : l’un toujours identique à lui-même, puisque nous songeons à l’identité de l’objet extérieur, l’autre spécifi­que, parce que l’addition de ce terme provoque une nouvelle organisation de l’ensemble. De là la possibilité de déployer dans l’espace, sous forme de multiplicité numérique, ce que nous avons appelé une multiplicité qualitative, et de considérer l’une comme l’équivalent de l’autre. Or, nulle part ce double processus ne s’accomplit aussi facilement que dans la perception du phéno­mène extérieur, inconnaissable en soi, qui prend pour nous la forme du mouvement. Ici nous avons bien une série de termes identiques entre eux, puisque c’est toujours le même mobile ; mais d’autre part la synthèse opérée par notre conscience entre la position actuelle et ce que notre mémoire appelle les positions antérieures fait que ces images se pénètrent, se complètent et se continuent en quelque sorte les unes les autres. C’est donc par l’intermédiaire du mouvement surtout que la durée prend la forme d’un milieu homogène, et que le temps se projette dans l’espace. Mais, à défaut du mouvement, toute répétition d’un phénomène extérieur bien déterminé eût suggéré à la conscience le même mode de représentation. Ainsi, quand nous entendons une série de coups de marteau, les sons forment une mélodie indivisible en tant que