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pour cela accessible à la mesure[1]. Mais le changement n’existerait que pour cette conscience capable de comparer l’écoulement des choses à celui de la vie intérieure. Au regard de la science il n’y aurait rien de changé. Allons plus loin. La rapidité de déroulement de ce Temps extérieur et mathématique pourrait devenir infinie, tous les états passés, présents et à venir de l’univers pourraient se trouver donnés d’un seul coup, à la place du déroulement il pourrait n’y avoir que du déroulé : le mouvement représentatif du Temps serait devenu une ligne ; à chacune des divisions de cette ligne correspondrait la même partie de l’univers déroulé qui y correspondait tout à l’heure dans l’univers se déroulant ; rien ne serait changé aux yeux de la science. Ses formules et ses calculs resteraient ce qu’ils sont.

  1. Il est évident que l’hypothèse perdrait de sa signification si l’on se représentait la conscience comme un « épiphénomène », se surajoutant à des phénomènes cérébraux dont elle ne serait que le résultat ou l’expression. Nous ne pouvons insister ici sur cette théorie de la conscience-épiphénomène, qu’on tend de plus en plus a considérer comme arbitraire. Nous l’avons discutée en détail dans plusieurs île nos travaux, notamment dans les trois premiers chapitres de Matière et Mémoire et dans divers essais de L’Energie spirituelle. Bornons-nous à rappeler : 1° que cette théorie ne se dégage nullement des faits ; 2° qu’on en retrouve aisément les origines métaphysiques ; 3° que, prise à la lettre, elle serait contradictoire avec elle-même (sur ce dernier point, et sur l’oscillation que la théorie implique entre deux affirmations contraires, voir les pages 203-223 de L’Energie spirituelle). Dans le présent travail, nous prenons la conscience telle que l’expérience nous la donne, sans faire d’hypothèse sur sa nature et ses origines.