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déroulement d’un fil, c’est-à-dire comme le trajet du mobile chargé de le compter. Nous aurons mesuré, dirons-nous, le temps de ce déroulement et par conséquent aussi celui du déroulement universel.

Mais toutes choses ne nous sembleraient pas se dérouler avec le fil, chaque moment actuel de l’univers ne serait pas pour nous le bout du fil, si nous n’avions pas à notre disposition le concept de simultanéité. On verra tout à l’heure le rôle de ce concept dans la théorie d’Einstein. Pour le moment, nous voudrions en bien marquer l’origine psychologique, dont nous avons déjà dit un mot. Les théoriciens de la Relativité ne parlent jamais que de la simultanéité de deux instants. Avant celle-là, il en est pourtant une autre, dont l’idée est plus naturelle : la simultanéité de deux flux. Nous disions qu’il est de l’essence même de notre attention de pouvoir se partager sans se diviser. Quand nous sommes assis au bord d’une rivière, l’écoulement de l’eau, le glissement d’un bateau ou le vol d’un oiseau, le murmure ininterrompu de notre vie profonde sont pour nous trois choses différentes ou une seule, à volonté. Nous pouvons intérioriser le tout, avoir affaire à une perception unique qui entraîne, confondus, les trois flux dans son coins ; ou nous pouvons laisser extérieurs les deux premiers et partager alors notre attention entre le dedans et le dehors ; ou, mieux encore, nous pouvons faire l’un et l’autre