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perçu du dedans, est une continuité de conscience, quelque chose de mon propre flux, enfin de la durée. Si maintenant j’ouvre les yeux, je vois que mon doigt trace sur la feuille de papier une ligne qui se conserve, où tout est juxtaposition et non plus succession ; j’ai là du déroulé, qui est l’enregistrement de l’effet du mouvement, et qui en sera aussi bien le symbole. Or cette ligne est divisible, elle est mesurable. En la divisant et en la mesurant, je pourrai donc dire, si cela m’est commode, que je divise et mesure la durée du mouvement qui la trace.

Il est donc bien vrai que le temps se mesure par l’intermédiaire du mouvement. Mais il faut ajouter que, si cette mesure du temps par le mouvement est possible, c’est surtout parce que nous sommes capables d’accomplir des mouvements nous-mêmes et que ces mouvements ont alors un double aspect : comme sensation musculaire, ils font partie du courant de notre vie consciente, ils durent ; comme perception visuelle, ils décrivent une trajectoire, ils se donnent un espace. Je dis « surtout », car on pourrait à la rigueur concevoir un être conscient réduit à la perception visuelle et qui arriverait néanmoins à construire l’idée de temps mesurable. Il faudrait alors que sa vie se passât à la contemplation d’un mouvement extérieur se prolongeant sans fin. Il faudrait aussi qu’il pût extraire du mouvement perçu dans l’espar, et qui participe