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fois nous n’apercevions alors, nous ne voyons, encore aujourd’hui, aucune raison d’étendre à l’univers matériel cette hypothèse d’une multiplicité de durées. Nous avions laissé ouverte la question de savoir si l’univers était divisible ou non en mondes indépendants les uns des autres ; notre monde à nous, avec l’élan particulier qu’y manifeste la vie, nous suffisait. Mais s’il fallait trancher la question, nous opterions, dans l’état actuel de nos connaissances, pour l’hypothèse d’un Temps matériel un et universel. Ce n’est qu’une hypothèse, mais elle est fondée sur un raisonnement par analogie que nous devons tenir pour concluant tant qu’on ne nous aura rien offert de plus satisfaisant. Ce raisonnement à peine conscient se formulerait, croyons-nous, de la manière suivante. Toutes les consciences humaines sont de même nature, perçoivent de la même manière, marchent en quelque sorte du même pas et vivent la même durée. Or, rien ne nous empêche d’imaginer autant de consciences humaines qu’on voudra, disséminées de loin en loin à travers la totalité de l’univers, mais juste assez rapprochées les unes des autres pour que deux d’entre elles consécutives, prises au hasard, aient en commun la portion extrême du champ de leur expérience extérieure. Chacune de ces deux expériences extérieures participe à la durée de chacune des deux consciences. Et puisque les deux consciences ont le même rythme de durée, il