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autre à la place. Nous avons dit ailleurs pourquoi nous voyons dans la durée l’étoffe même de notre être et de toutes choses, et comment l’univers est à nos yeux une continuité de création. Nous restions ainsi le plus près possible de l’immédiat ; nous n’affirmions rien que la science ne pût accepter et utiliser ; récemment encore, dans un livre admirable, un mathématicien philosophe affirmait la nécessité d’admettre une « advance of Nature » et rattachait cette conception à la nôtre[1]. Pour le moment, nous nous bornons à tracer une ligne de démarcation entre ce qui est hypothèse, construction métaphysique, et ce qui est donnée pure et simple de l’expérience, car nous voulons nous en tenir à l’expérience. La durée réelle est éprouvée ; nous constatons que le temps se déroule, et d’autre part nous ne pouvons pas le mesurer sans le convertir en espace et supposer déroulé tout ce que nous en connaissons. Or, impossible d’en spatialiser par la pensée une partie seulement : l’acte, une fois commencé, par lequel nous déroulons le passé et abolissons ainsi la succession réelle nous entraîne à un déroulement total du temps ; fatalement alors nous sommes amenés à mettre sur le compte de l’imperfection humaine

  1. Whitehead, The Concept of Nature, Cambridge, 1920. Cet ouvrage (qui tient compte de la théorie de la Relativité) est certainement un des plus profonds qu’on ait écrits sur la philosophie de la nature.