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de son cru sur le papier, vite ils le lui font raturer : « ce n’est pas du théâtre ! » Gondinet sonne pour demander un bouillon, les cinq auteurs, croyant qu’il dicte, écrivent le bouillon, et les directeurs sont ravis. « C’est du théâtre ! » Gondinet a ensuite la plus grande peine à les désabuser et à leur faire comprendre que ce bouillon n’est que de la vie réelle et qu’il est destiné à son usage.

Parfois, lorsque les directeurs, lassés, retournent à leur direction, les cinq auteurs forment la ronde et dansent avec le patron. Il fait monter une bouteille de vin de Ténériffe, quelque chose de délicieux et de collaboratoire qu’il a derrière ses fagots, et tous apportent leurs papiers sur la même table. Ils travaillent côte à côte et ils abattent de la besogne. Gondinet, pendant ce temps-là, va échanger quelques verbes avec son frère, son neveu, des parents et des amis qui l’attendent dans sa chambre à coucher, et, quand il revient, c’est du théâtre !

Car il a ce principe bizarre, et dont Scribe pleurerait, que, même au théâtre, celui qui a conçu une idée est plus propre à la réaliser que celui qui ne l’a pas conçue. Et c’est ainsi qu’en ses collaborations il a obtenu des effets nouveaux, variés, originaux, dont les directeurs se pourlèchent les babines. Ses conseils y sont pour un tiers, son respect des individualités pour un autre tiers, et le vin de Ténériffe pour le dernier.

Gredin de vin de Ténériffe, en a-t-il sauvé de ces directeurs qui croient encore que le théâtre est un art qu’on enseigne ! Jamais Gondinet ne leur a dessillé les yeux, mais il leur a glissé de la sorte un tas de jeunes auteurs, dont ils ne voulaient pas entendre