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noux, la corde au cou en gémissant miserere. Il lui offrirent sur des plateaux des traités en blanc, tout signés, par lesquels ils s’engageaient à l’envi à jouer à des dates fixes, n’importe quoi et même rien du tout pourvu qu’il le signe. Il apprit de la sorte que le théâtre est un commerce et non pas un art, ainsi qu’il se le figurait naïvement, et il vit venir à lui la procession lamentable des éconduits que l’ombre de Scribe chassait devant elle. Alors il eut pitié et il ouvrit son atelier de reboutage.

Or, celui qui n’a pas vu cet atelier de reboutage ne sait pas ce que c’est que l’art dramatique à Paris. Figurez-vous cinq ou six salles, meublées de sièges et de tables, et à chacune de ces tables, un auteur assis, la plume en main et flanqué de son directeur respectif. Celui-ci travaille pour le Vaudeville, cet autre pour la Comédie-Française, un troisième pour l’Opéra-Comique, un autre pour le Palais-Royal et le dernier pour les Folies-Bergère. L’aimable et bon Gondinet, le front penché, les yeux perdus dans une quintuple rêverie, va, vient, se promène et marche de l’un à l’autre, en se frottant les mains. Il indique une scène au premier, jette un mot au voisin, crayonne une réplique pour celui du fond, et, au milieu d’une leçon de métier, va ouvrir la porte à des visiteurs. Comment il ne marie pas l’Arthur de l’un à l’Ernestine de l’autre, voilà ce qui me passe.

Les directeurs halètent auprès de leur auteur personnel. Ils trouvent que Gondinet reste trop longtemps à la table du confrère ou qu’il est trop long à recevoir ses visites. Si leur auteur personnel, pour gagner du temps, se hasarde à écrire quelque chose