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appartement spécial, sis rue de Rivoli, à des hauteurs carrément piranésiennes. Pour qu’un directeur un peu bedonnant se décide à escalader les degrés infinis d’une pareille rampe, il faut qu’il en soit vraiment arrivé aux confins de la faillite. Gondinet, d’ailleurs, ne leur oppose point d’autre défense ; une fois sur le palier ils poussent la porte et ils entrent. C’est l’atelier de reboutage.

Le second Gondinet, en effet, est un rebouteux. C’est à lui que l’on s’adresse pour redresser les bossus dramatiques, les difformes, les bancals, les paralysés aussi. En trois ou quatre séances d’exercices orthopédiques, il les met en état de plaire et d’avoir des succès dans le monde, car on se fait une si curieuse idée aujourd’hui de ce qu’on appelle une pièce, qu’on en est arrivé à croire qu’il y a une formule pour l’obtenir et que cette formule est un secret qu’on se transmet entre initiés comme un remède contre l’épilepsie.

Gondinet lui-même a beau jurer à tous les directeurs qu’il ne sait faire que « le Gondinet », les directeurs refusent de le croire, et ils lui apportent tous les manuscrits qu’ils reçoivent, afin que, dans ses moments perdus, il change celui-ci en Eschyle et celui-là en Aristophane. Les trois quarts du temps il n’y a rien, que le papier, dans ce que les directeurs lui apportent. Il le leur fait observer doucement, mais ils secouent la tête et sourient de sa manie : « Ah ! mon cher maître, un homme de théâtre tel que vous. »

Pendant quelques années, Gondinet a essayé de résister ; il refusait de faire les civets sans lièvre. Alors les directeurs grimpèrent ses escaliers à ge-