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— Mon ami, pour faire du théâtre, il faut être un peu bête.

À ce mot charmant, l’un des plus fins de l’auteur du Plus heureux des trois, le directeur ouvrit des yeux énormes sur une bouche démesurée : — Oh ! fit-il en son langage.

Et Gondinet de rire. À l’y bien chercher, il est tout entier dans cette malice. Je la prends pour exergue du portrait que je crayonne.

Il y a deux hommes en Gondinet, celui qu’on le contraint d’être, et celui qu’il serait seulement si on le laissait tranquille. Quand on le laisse tranquille il donne Libres ! Christiane, Le Homard, Le Plus heureux des trois, perles de fantaisie serties dans l’or de l’observation. Quand on l’embête, il collabore.

Le Gondinet tranquille vit à la campagne, avec des chiens, des oiseaux, bêtes trop spirituelles pour faire du théâtre. Là, il cultive son jardin de Lettres le bon sécateur à la main, échenillant ses arbres à fruits et chassant les limaces. C’est l’artiste. Au-dessus de son petit bonnet de velours noir, les heures volent et enchaînent les couchants aux aurores. La création lui est clémente et si, pour d’autres, les choses ont ces « larmes » dont parle Virgile, elles n’ont pour lui que les « sourires » qu’y voit Horace. Tels devaient être, aux siècles derniers, les écrivains de race optimiste, conservateurs de l’esprit national, les clairs, les gais, les sains, dont il continue la veine et la filière.

De telle sorte qu’en cet âge de névropathes — où tout le monde a du génie et personne n’a plus de talent — Gondinet charme par sa figure aimable d’es-