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j’attire le donateur. J’ai même refusé des héritages. — Il disait vrai, et il nous cita des exemples contemporains, Saint-Saëns, Paul de Cassagnac, Jules Vallès, l’astronome Flammarion et ce chansonnier au nom étrange de Ben Tayoux qui, pour une chanson Ah ! rendez-nous l’Alsace et la Lorraine !… avait écopé de la tuile de cent mille d’un patriote vosgien expiré. — J’ai bien failli, fis-je en riant du souvenir, devenir le Pyrrhus d’une tuile d’or plus lourde encore. Et comme je lui narrais mon aventure turque :

— Vous avez tort d’en rire et plus encore de n’y pas croire peut-être. Il y a à Smyrne une colonie française très au courant des choses de Paris et fort boulevardière. Avez-vous au moins gardé la lettre ? Confiez-la-moi, je l’étudierai à la loupe du graphologue et je vous le dirai, moi, s’il y a mystification ou non. L’écriture ne m’a jamais trompé.

Le lendemain, Dumas me rapportait le document. — Il n’y a pas à hésiter une minute, m’assura-t-il, écrivez dare-dare au consul de France à Smyrne. Je vous avance les trois millions, si vous voulez.

Mon Dieu, que l’argent rend bête ! J’écrivis, moi, Caliban ! au consul, à Smyrne, et n’eus point de réponse. Ou le munificent vivait encore et il avait changé d’avis, ou il était mort en oubliant de déposer son testament chez notre chargé d’affaires, car d’autre hypothèse, je n’en concevais pas. J’ai toujours eu une foi entière en la parole d’Alexandre Dumas et la graphologie est une science positive. — Mon cher ami, m’expliquait-il, voici ce que je crois… Mais d’abord êtes-vous bien sûr de n’avoir pas, dans votre lettre au consul, refusé brutalement l’héritage ?