Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui, c’est du Piron. Mais je connais ça.

— Comment ? Où ? De qui ?

— D’un prosateur… dans La Parisienne.

— Tiens, c’est vrai, je l’ai déjà dit au théâtre.

Bis repetita. Mais ne vous fâchez pas si je l’aime mieux sous l’autre forme. Elle vous est plus propre et plus propice, peut-être.

— Parnassien ! me lança-t-il en riant. Mais je le sentis un peu vexé, car il voulait être poète aussi et il rimait férocement dans l’ombre, et même en plein air, comme on voit.

Cette rencontre du quatrain m’irrite obstinément la mémoire lorsque je traverse, au boulevard de Courcelles, la place où se dresse, sur sa stèle assez laide, le buste de mon vieux camarade de lettres, car c’est sur l’emplacement même de la colonne qu’elle eut lieu.

Non, l’icône d’Auguste Rodin ne commémore certainement pas en Henry Becque, l’un des meilleurs poètes de l’époque ; je n’attente pas à sa gloire si j’avance que sa maîtrise était dans la prose, surtout dialoguée, et que, s’il eut des rivaux en art dramatique, aucun d’eux ne lui passa la jambe. Le buste est parfaitement justifié et d’ailleurs de haute ressemblance. Il a l’air de lancer sur Cabotinville ce caustique : « hein, quoi ? » dont il ponctuait ses mots et ses maximes. On ne m’empêchera pas de penser du reste que le monument en dit plus long encore aux « neveux » que le talent, si considérable fût-il, de l’auteur des Corbeaux et qu’il a, en plein Paris, une valeur d’amende honorable publique. Aucun de nous, en effet, ne s’est vu disputer plus rudement par les intermédiaires le droit de produire et de se manifester