Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Puisque avec la fortune le bon Dieu n’a point voulu me donner votre gaieté, je vous la lègue et qu’elle serve au moins à redoubler votre verve.

« Un ami affectueux des gens de lettres. »

J’en avais sur les doigts, la leçon était verte et la blague bien faite. Rien de plus turc que le style de la lettre ; pas le plus petit mot pour rire, même entre les lignes, et l’Asiatique ignore l’ironie. L’ami qui me décochait le dard, au début de l’avril, où le printemps revient d’exil, avait assurément hanté chez l’Ottoman. Toutefois, comme on approchait de l’une de ces quatre fêtes du dieu Terme, dont la double déception de l’Odéon et du Parc m’éteignait un peu les lampions, je n’imaginais pas le camarade, que dis-je, le confrère, qui fût assez féroce pour se rigoler d’un nid d’alouettes en alarme sous le vol planant du vautour. Restait les ennemis, mais je n’en avais plus, ni à Paris, ni à Bruxelles, ils étaient dûment morts de joie. Je ravalai donc mes trois millions dérisoires, et ne montrai la lettre testamentaire qu’à celle qui, de moitié dans mes biens et mes maux, avait le droit de les connaître. À ma vive surprise, elle prit l’olographe smyrniote et gravement l’enferma dans son secrétaire.

— Mon père croyait aux Turcs, me dit-elle.

À deux ou trois années de là, au cours d’une causerie avec Alexandre Dumas, je me vis amené à lui parler de mon poisson d’avril. — Les munificents, nous contait-il, sont beaucoup moins rares qu’on ne pense. Sans parler des legs à l’Académie, nombre d’artistes en ont reçu directement et individuellement d’admirateurs opulents. Je suis du nombre,