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C’est de la bouche d’un connaisseur que sort l’arrêt qui vous crie : « Assez ! Tu as assez parlé pour ne rien dire, et ton travail est accompli, dans la ville des sourds. Va te promener et livre au vent ta chevelure incurablement grisonnante ; tes yeux fatigués par les lampes, et ta main convulsée par le tremblement de l’écriture. La nature te réclame et te sonne l’heure bénie des choux à planter. Tais-toi, bavard, et vis ! Je te rachète !… » Quel Dieu, ô Mélibée, celui qui me ferait ces loisirs ! Hélas ! où est-il ?

Vous êtes-vous demandé ce qui doit se passer dans la cervelle d’un vieux perroquet de cent ans, hérissé sur son perchoir par la mort prochaine, déplumé misérable, quand il cherche à comprendre ce que peut bien signifier le : « As-tu bien déjeuné, Jacquot ? » prononcé par lui pendant un siècle ? Ce problème est celui de tous les écrivains parvenus à la maturité. Qu’est-ce qu’ils ont dit depuis qu’ils écrivent ? Des mots, des mots !…

Oh ! par ces temps de millions faciles, si vite gagnés, si tôt perdus, qu’une divinité favorable place ce numéro du Gil Blas sous les yeux d’un homme sans famille et ne sachant que faire de sa fortune. Il y en beaucoup plus qu’on ne l’imagine, et il ne m’en faut qu’un, mon notaire vous le dira. Je n’exige pas qu’il se suicide ; non. Je l’aime déjà trop pour cela, sans le connaître. Qu’il songe cependant qu’il lui est impossible de vivre exagérément s’il veut que je profite de son bienfait, car tant qu’il vivra je serai forcé de continuer d’écrire, et c’est justement ça qui m’embête.

Du reste, si ce n’est pas à moi qu’il le lègue, son