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« Après avoir réfléchi à soixante ans de sottise que j’ai vues et que j’ai faites, j’ai cru m’apercevoir que le monde n’est que le théâtre d’une petite guerre continuelle, ou cruelle ou ridicule, et un ramas de vanités à faire mal au cœur !… Les hommes sont tous Jean-qui-pleure et qui-rit ; mais combien y en a-t-il malheureusement qui sont Jean-qui-mord, Jean-qui-vole, Jean-qui-calomnie, Jean-qui-tue !… Il y a des aspects sous lesquels la nature humaine est la nature infernale. On sécherait d’horreur si on la regardait par ces côtés !… »

Je fermai le livre et j’écoutai, les yeux clos sur mon rêve, grésiller la saucisse, tandis que se posaient sur mes mains deux museaux humides de braves bêtes, aimantes, honnêtes et fidèles. Que pensez-vous de ce tableau de la vie par Voltaire ?… Et si je m’en allais !

Aussi, je vous l’avoue, il serait le bienvenu entre tant de Jean-qui-mord, de Jean-qui-vole et de Jean-qui-tue, celui qui me dirait : « Moi, je suis Jean-qui-teste ! » Et qu’il vienne d’Auvergne ou d’Alsace, il n’aurait rien à craindre de mes dispositions pour lui et pour son legs : j’hériterais admirablement ! J’hériterais sans broncher, avec ou sans conditions, et respectueux même des codicilles. J’hériterais sans peur aussi, sûr d’avoir mérité cette gloire. J’hériterais enfin comme si j’étais son neveu naturel.

Car, en ces aventures, voyez-vous, le hasard est extrêmement bête. Avec ses gros lots, qui vous assomment comme tuiles d’or, il opère lourdement et sans discrétion. On ne sort plus de la stupeur où vous plonge l’aérolithe sur le crâne. Combien hériter est plus doux ! On a « fait » un Mécène.