Je trouvai un homme fort aimable, de fine culture et de lecture abondante, qui d’abord, non sans gêne, déclina mon offre de collaboration. Il n’avait pas manqué un seul de mes « Homme Masqué » du Voltaire, et il en appréciait en gourmet les qualités de jovialité verveuse et la patte professionnelle, mais leur libéralisme militant ne cadrait pas avec la clientèle dont il avait la garde. — C’est ici, fit-il en riant, le Moniteur de la Haute Épicerie Française, nous vendons de la conserve. — Et de la salaison, relevai-je. — Autrefois oui. Tenez, lisez-vous Saint-Genest, notre Saint-Genest des familles ? — Rarement et peu à la fois. — Nos abonnés vous en rendent là-dessus, mais c’est la plume du journal. Voilà. — Est-ce vrai ce que Daudet raconte ? — De qui ? — Mais de Saint-Genest, qu’il écrit à cheval ? — Et sans lâcher la trompette.
À quelque temps de là, je rencontrai Francis Magnard à la gare Saint-Lazare. — Vous m’économisez le timbre de trois sous, fit-il en venant à moi. J’ai causé de vous avec mes deux associés. L’un d’eux vous abomine et l’autre ne vous trouve aucun talent. Cela m’a donné à réfléchir. Apportez-moi donc une chronique. — Puis, avec un geste : — Et surtout ne la soignez pas.
Je pense que ceux qui l’ont connu le reconnaîtront à ce trait à double dard. Ce timide était caustique, à la façon du patron disparu et selon la tradition, mais sans la sensiblerie de ce grand enroué. Magnard n’aimait rien tant que ravaler et mettre au point les vanités et pavanités qui nous sont propres, et, pierre de touche singulière, c’était au cabrement qu’il estimait les rabroués à leur prix. Le type d’ail-