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du beau que l’on appelle le succès, a divisé mon entité en plusieurs mandarinats tapageurs par lesquels j’ai dérouté délicieusement le public et la critique. Le piège de ces incarnations renaissantes, et toujours inattendues, aura été la joie de ma vie, et personne n’aura poussé aussi loin que moi la danse ironique des pseudonymes. Ah ! je les ai fait sauter les besicles de la critique !

Mais ce temps m’amuse par sa bêtise ineffable. Dès que je m’aperçus, à ma grande stupeur, que l’application de la démocratie aux arts libéraux n’était pas une blague et qu’on allait sérieusement en tenter l’essai dans mon pays, je résolus d’extraire quelques pintes de bon sang de cette bévue immense, dont les neuf Muses se tordaient déjà de rire sur le Pinde. Oui, je me promis d’être, à défaut d’un meilleur, celui qui poserait des lapins à cette oie de Suffrage Universel érigé en arbitre des lettres et bombardé procureur de la postérité !

Et je me suis tenu parole. Ayant débuté sous mon nom par le théâtre, vers lequel m’attiraient mes prédilections et mes dons de nature, je m’éclipsai un jour dans la poésie lyrique, et au moment où l’absurde Suffrage Universel allait me presser sur son cœur, je fis le plongeon dans la critique d’art. Une troisième réputation menaçait de m’y naître, et déjà le public préparait sa couronne ; il n’était que temps de filer sur le roman ; j’y filai. Un jour que je dormais, l’obtus succès faillit m’atteindre. Je m’en réveillai chroniqueur.

Le Suffrage Universel n’y voyait que du feu. — Êtes-vous le même ? me demandait-il, en ouvrant ses gros yeux de bœuf aimable. — Mais non, mais non,