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Fortuny, tous les satellites de cette gloire rayonnante, et sauf Canrobert et Girardin, je les retrouvais tous groupés à Lyon, autour d’elle. Un seul m’était nouveau, à qui Jojotte — Georges Clairin — me présenta. C’était un jeune comédien de vingt-huit ans d’une beauté alcibiadesque et telle qu’Athènes les divinisait au temps de Périclès, de plastique mémoire. Praxitèle pouvait revenir et rouvrir son atelier, il avait en ce Jacques Damala un modèle olympien, selon le canon sacré de la forme apollonienne. Elle se dessinait comme d’elle-même à travers les disgrâces de notre affreux vêtement moderne, et elle y rendait, sous son uniforme notarial, la grâce naturelle des attitudes simples, équilibrées et paisibles dont l’Orient seul observe encore les lois rythmiques.

— C’est le « Fortunio » de Gautier, dis-je à Jojotte.

— Il est aussi l’Hernani de Victor Hugo, tu le verras ce soir, dans ce rôle, à côté d’elle.

Clairin ne m’en dit pas davantage et me laissa tout deviner du reste. Ce n’était pas d’ailleurs être grand somnambule que de lire dans le marc de café de l’évidence le présage d’un mariage concerté par les dieux et qui, deux mois après, sonnait les cloches dans Londres.

Jacques Damala qui était, je crois, Smyrniote, unissait aux langueurs de sa race ensoleillée, l’humour facétieux d’un Parigot de la décadence. Nous nous convînmes tout de suite l’un à l’autre et nous palabrâmes dans les couloirs. Il n’était pas étourdi par son roman et ce qu’il y voyait de plus surprenant, c’était le plaisir de jouer des beaux rôles du répertoire sans avoir eu le temps d’étudier à fond toutes les difficultés de son art. Le théâtre l’amusait follement.