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somme, et il vient pour la tuer. Elle est entretenue par un roi quelconque, il l’apprend et veut en finir. — Non, lui crie-t-elle, reste-moi tout de même. Tu me laisseras à ma vie dévergondée, nous divorcerons. Seulement, tu auras les clefs et tu me garderas comme maîtresse. Le malheureux mari, affolé d’amour, finit par consentir au partage affreux qui du moins la lui laisse. — Eh bien, soit, et à ce soir. — Oh ! non, ce soir… ce soir… je ne peux pas ! — Si ça passe, dit Dumas, et j’y compte, l’ouvrage est sauvé, et j’en serai bien content pour votre ami Armand d’Artois.

Il me conte encore que le type d’Ida Clémenceau lui a été posé par Mme Pradier dont il me montre le portrait dans sa chambre à coucher et qu’il a acheté à je ne sais plus quelle vente, celle, je crois, de la Guimont. La femme est superbe, avec sa carnation opulente et ses yeux voluptueusement demi-clos. Elle n’avait aucun sentiment de la pudeur moderne et chrétienne. Elle nageait absolument nue dans la Seine et passait sous les trains de bois comme une sirène antique. Il est vrai, fait-il en riant, qu’elle était faite au moule et qu’elle le savait, car tout est là.

— J’amène Willette dîner à la maison pour l’illustration des Contes chez Lemerre. Pendant toute la course en fiacre, il est dans un état de véritable angoisse. Il a peur en voiture, dans toutes les voitures, et jamais il ne se livre aux caprices des chevaux, aveuglés par les œillères. Il a ouvert toutes les vitres du fiacre, et il s’accroche des deux mains aux portières. — Ouf, sauvés ! soupire-t-il à l’arrivée.

Lundi 19. — Visite à Charles Lamoureux pour la