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qui l’a recueillie à son ordre alphabétique, avec mon portrait, dieu me damne !


III

Jeudi 15 décembre (1887). — On vient de m’en raconter une bonne, celle du bateau de fleurs de L… et F… en plein Paris, sur la Seine. L… et F… sont des fumistes éminents qui, ayant remarqué que le Code Moral n’est pas promulgué, profitent de cette lacune de nos institutions. L’été dernier, dans les eaux d’Asnières, ces joyeux Mohicans de nos pampas sociales avisent un ravissant bateau de plaisance amarré à la berge et qui paraît abandonné. Ils s’informent. C’est un yacht en effet sans usage, destiné à faire le service de Paris au Havre sur le dos argenté de la Seine serpentueuse. Mais il est mal construit, raté, ne tient pas le courant, enfin il se délabre sur place, délaissé par le propriétaire. L’idée, la grande idée, l’idée chinoise, leur surgit entre les tempes. Ils visitent le yacht. Une installation admirable, un chef-d’œuvre d’ébénisterie, de confort moderne, de décoration artistique. En deux bonds, qui font quatre, les voilà chez le propriétaire qu’ils empaument par leur platine boulevardière. Il leur prête ou leur loue le bateau dont il ne fait rien, et qu’ils amènent place de la Concorde, frégate-école d’un nouveau genre, bain à quatre sous pour la police et bac de Cythère pour les poètes. La date immortelle de la prise de la Bastille sonne, comme d’elle-même, celle de l’inauguration aux invités, triés sur le volet, de la presse