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solument impossible de voir Sarah ailleurs qu’aux repas de trente couverts qu’elle y donnait à ses amis artistes, adorateurs, fournisseurs, que sais-je, à tous ceux qu’elle entraînait enfin dans le tourbillon de ses jupes. Banville n’exagérait rien dans sa « ronde du brésilien » hyperbolique et réelle. Si l’aviation avait été découverte à cette époque, elle en eût certainement appliqué, la première, l’usage à ses tournées déjà aériennes.

On m’avait à grand’peine logé dans les combles du caravansérail, occupé tout entier, et du haut en bas, par les « gens » de cette reine de Saba triomphante, et j’y couchais entre deux malles de son bagage innombrable, à côté d’un couple de vieux Sémites qui la suivaient de ville en ville, un sac de pierreries à la main. Le soir où j’étais arrivé, elle m’avait accueilli comme si je venais de la quitter depuis vingt-cinq minutes, sans plus d’étonnement de ma présence que de celle d’un familier de sa cour ordinaire, et j’avais trouvé mon couvert mis à sa table, presque mon rond de serviette, comme au château, en province chez la duchesse. C’est la caractéristique de cette dominatrice-née de tenir pour acquis ceux qu’elle a touchés de sa baguette et, sous son regard dur, classés siens d’un sourire. J’étais de ceux-là depuis La Vie Moderne, et par ma visite à Lyon je rentrais dans l’Arche, à ma case. Quant à l’objet de cette visite, il n’en était même pas question, et, le deuxième jour, je commençai à douter de la dépêche. Était-elle bien de sa main, cette dépêche de Vienne, et attendait-elle sérieusement la pièce dont j’apportais le rouleau dans ma valise ?

Je connaissais, pour les avoir vus cent fois rue