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cette entrevue qui, jusqu’au 29 avril 1903, soit pendant seize ans (Eheu, Postume, labuntur anni !) allait interrompre nos rapports sublunaires. À la relire dans sa précision phonographique de paroles magiquement dégelées, elle me rajeunit trop, et je n’ai plus l’embouchure du porte-voix. Oui certes, le lustre miroitant de la scène française m’en a fait voir de toutes les couleurs et je n’en laisse à personne, en qualité ni en quantité, pour les souffrances d’amour-propre, et d’autres, que l’artiste de lettres endure, a toujours endurées et endurera sans fin dans « le métier affreux ». Le pis c’est qu’il est ridicule. L’auteur est un comique. Le sympathique, c’est le directeur, c’est lui qui épouse la jeune fille. Encore une fois, jeunes gens, l’erreur est de se défendre. On ne lutte pas contre Denys dans Syracuse. Dans l’aventure symbolique de l’épée pendue au crin de cheval sur la tête de Damoclès, c’est le tyran qui est drôle, il a le bon bout de la farce. Je n’extrairai donc de mon mémorandum, à la date du 12 décembre 1887, que quelques mots philosophiques d’un dialogue orageux auquel les cloches du grand enterrement environnant prêtaient leur voix de bronze.


Moi : — Je n’aurais jamais eu l’idée de m’atteler à si dure, ingrate et périlleuse besogne, et la commande est de votre bonnet. Pourquoi ce choix — ou cet accueil ?

Lui : — Je reconnais votre valeur, soit, mais vous n’avez pas encore eu de succès au théâtre, par conséquent vous ne pouvez pas vous attendre à ce que l’on ait pour vous plus d’égards que pour les débutants.